Corse-Matin - Lundi 18 juin 2001

Les paradoxes d'un lettré tranquille

 

En poste à Cannes, Bastia ou Nice, Nicolas Giudici posait sur le quotidien un regard plein de perspicacité et d'indulgence. Il en retirait des textes , d'une grande qualité et justesse de ton C'était un fin lettré, un penseur, un philosophe un peu bohème.

C'était un homme de paix que rien, mais alors rien, ne prédisposait à une mort violente La violence, il la combattait dans ses écrits et dans ses discours ponctuant ses propos d'un hochement de tête sans se départir d'un éternel sourire et posant sur le quotidien un regard doux et indulgent où jamais ne s'est allumée l'étincelle de la colère. Pourtant, derrière une nonchalance qu'il se refusait à bousculer en apparence, derrière un détachement qu'il cultivait, Nicolas Gludici était un actif, un travailleur, un apôtre du détail. Professeur de philosophie au Cours Cannois après des études sans souci au lycée Marbeuf de Bastia puis à la faculté de Nice, Nicolas Giudici était venu frapper à la porte de l'agence de Cannes de notre journal en 1979.

Débuts à Mandelieu. Avec sa tignasse brune un peu en bataille, avec son écharpe rouge ou blanche selon l'humeur du temps mais jamais en harmonie avec ses cravates à carreaux, avec ce brin de réserve et de gaucherie qui collent aux vrais intellectuels, il fut engagé sur le champ pour assurer la correspondance de Mandelieu, puis du Cannet-Rocheville. Il ne s'en offusqua pas. Au contraire, il s'enthousiasma pour sa nouvelle tâche. Plongeant avec délice dans le monde de l'immédiateté et de l'éphémère, lui, le penseur réfléchi, se hâta lentement avec bonheur. Devenu très vite journaliste professionnel, il fit ses premiers pas dans la presse à Cannes puis à Nice avant de regagner son île natale et l'agence de Corse-Matin de Bastia, de 1989 à 1994. De retour sur le continent, il retrouva Nice puis Cannes, jusqu'en 1999, date à laquelle il choisit de quitter notre titre pour se consacrer à l'écriture. Auteur déjà de deux ouvrages de référence sur l'île - Le crépuscule des Corses, clientélisme, identité et vendetta - voir par ailleurs - et Le problème corse - ainsi que d'un essai sur la Philosophie du Mont-Blanc, de l'alpinisme à l'économie immatérielle, il se consacrait désormais à la soutenance d'une thèse à l'Université de Nice, sur l'origine de la société des loisirs à partir de l'expérience du Mont-Blanc.

Un élément modérateur Esprit brillant, curieux de tout, fin, toujours en éveil, il préparait, parallèlement, un projet d'émission sur France-Culture et participait à de nombreux colloques , tel que celui sur le droit du travail qui lui valu cette invitation à Corte Nicolas Giudici, flanqué de son éternelle sacoche en bandoulière, ne savait, d'ailleurs, pas dire "non" quand on lui proposait de débattre. Les joutes intellectuelles, la soif de savoir, de faire partager une idée, de défendre un point de vue, excitaient l'intellectuel tranquille sans pour autant l'amener à s'emporter. Dans une assemblée, il était l'élément modérateur. Sa voix douce et basse incitait au silence et à l'écoute. Il n'attaquait jamais les individus même quand il condamnait les situations. Homme d'action sans être activiste, il était aussi et avant tout, un journaliste et un écrivain de réflexion, essayant sans cesse d'élever le débat pour saisir la globalité. En toute chose, il saisissait l'élément majeur, l'anecdote révélatrice, faisant du simple reportage de locale un conte de la vie en société d'une rare justesse. Ses chroniques judiciaires comme ses papiers sur Ciné-off, durant le Festival International du Film, étaient toujours empreints de pudeur et de délicatesse pour en révéler la "substantifique moelle". Insulaire de dur et Corse atypique, il était aussi l'homme des montagnes, sans doute parce que son village natal de Polveroso est niché dans la Castagniccia. Le Mont-Blanc, bien sûr, le fascinait mais aussi les sommets et vallées des Alpes - Maritimes. Avant de parti pour la Corse, il s'était rendu à Saint-Étienne de Tinée pour visiter un chalet à restaurer. Loin du bruit. Loin de la fureur. Pour occuper ses mains en même temps qu'il laissait vagabonder son esprit, vers la Corse "pour laquelle il voulait faire quelque chose", vers son monde, dans le silence des montagnes qu'il aimait tant, lui l'homme qui avait toujours froid, même en été. Encore un paradoxe. Que le souvenir de tes amis puisse t'apporter un peu de chaleur. "Ciao, ciao". Pour reprendre ton éternel salut.

François Rosso

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