En
poste à Cannes, Bastia ou Nice, Nicolas Giudici posait sur
le quotidien un regard plein de perspicacité et d'indulgence.
Il en retirait des textes , d'une grande qualité et justesse
de ton C'était un fin lettré, un penseur, un philosophe
un peu bohème.
C'était
un homme de paix que rien, mais alors rien, ne prédisposait
à une mort violente La violence, il la combattait dans ses
écrits et dans ses discours ponctuant ses propos d'un hochement
de tête sans se départir d'un éternel sourire et posant
sur le quotidien un regard doux et indulgent où jamais ne
s'est allumée l'étincelle de la colère. Pourtant, derrière
une nonchalance qu'il se refusait à bousculer en apparence,
derrière un détachement qu'il cultivait, Nicolas Gludici
était un actif, un travailleur, un apôtre du détail. Professeur
de philosophie au Cours Cannois après des études sans souci
au lycée Marbeuf de Bastia puis à la faculté de Nice, Nicolas
Giudici était venu frapper à la porte de l'agence de Cannes
de notre journal en 1979.
Débuts
à Mandelieu. Avec sa tignasse brune un peu en bataille,
avec son écharpe rouge ou blanche selon l'humeur du temps
mais jamais en harmonie avec ses cravates à carreaux, avec
ce brin de réserve et de gaucherie qui collent aux vrais
intellectuels, il fut engagé sur le champ pour assurer la
correspondance de Mandelieu, puis du Cannet-Rocheville.
Il ne s'en offusqua pas. Au contraire, il s'enthousiasma
pour sa nouvelle tâche. Plongeant avec délice dans le monde
de l'immédiateté et de l'éphémère, lui, le penseur réfléchi,
se hâta lentement avec bonheur. Devenu très vite journaliste
professionnel, il fit ses premiers pas dans la presse à
Cannes puis à Nice avant de regagner son île natale et l'agence
de Corse-Matin de Bastia, de 1989 à 1994. De retour sur
le continent, il retrouva Nice puis Cannes, jusqu'en 1999,
date à laquelle il choisit de quitter notre titre pour se
consacrer à l'écriture. Auteur déjà de deux ouvrages de
référence sur l'île - Le crépuscule des Corses, clientélisme,
identité et vendetta - voir par ailleurs - et Le problème
corse - ainsi que d'un essai sur la Philosophie du Mont-Blanc,
de l'alpinisme à l'économie immatérielle, il se consacrait
désormais à la soutenance d'une thèse à l'Université de
Nice, sur l'origine de la société des loisirs à partir de
l'expérience du Mont-Blanc.
Un
élément modérateur Esprit brillant, curieux de tout, fin,
toujours en éveil, il préparait, parallèlement, un projet
d'émission sur France-Culture et participait à de nombreux
colloques , tel que celui sur le droit du travail qui lui
valu cette invitation à Corte Nicolas Giudici, flanqué de
son éternelle sacoche en bandoulière, ne savait, d'ailleurs,
pas dire "non" quand on lui proposait de débattre. Les joutes
intellectuelles, la soif de savoir, de faire partager une
idée, de défendre un point de vue, excitaient l'intellectuel
tranquille sans pour autant l'amener à s'emporter. Dans
une assemblée, il était l'élément modérateur. Sa voix douce
et basse incitait au silence et à l'écoute. Il n'attaquait
jamais les individus même quand il condamnait les situations.
Homme d'action sans être activiste, il était aussi et avant
tout, un journaliste et un écrivain de réflexion, essayant
sans cesse d'élever le débat pour saisir la globalité. En
toute chose, il saisissait l'élément majeur, l'anecdote
révélatrice, faisant du simple reportage de locale un conte
de la vie en société d'une rare justesse. Ses chroniques
judiciaires comme ses papiers sur Ciné-off, durant le Festival
International du Film, étaient toujours empreints de pudeur
et de délicatesse pour en révéler la "substantifique moelle".
Insulaire de dur et Corse atypique, il était aussi l'homme
des montagnes, sans doute parce que son village natal de
Polveroso est niché dans la Castagniccia. Le Mont-Blanc,
bien sûr, le fascinait mais aussi les sommets et vallées
des Alpes - Maritimes. Avant de parti pour la Corse, il
s'était rendu à Saint-Étienne de Tinée pour visiter un chalet
à restaurer. Loin du bruit. Loin de la fureur. Pour occuper
ses mains en même temps qu'il laissait vagabonder son esprit,
vers la Corse "pour laquelle il voulait faire quelque chose",
vers son monde, dans le silence des montagnes qu'il aimait
tant, lui l'homme qui avait toujours froid, même en été.
Encore un paradoxe. Que le souvenir de tes amis puisse t'apporter
un peu de chaleur. "Ciao, ciao". Pour reprendre ton éternel
salut.
François
Rosso |