La
suppression des offices et des agences a cependant disparu
du projet du Gouvernement, à la demande expresse
de M. Rossi - celui-ci l'a confirmé lors des débats
de la commission.
M. José Rossi - C'est faux ! C'est une demande
figurant dans l'avis de l'Assemblée de Corse, adopté
par 42 élus sur 51 !
M. Jean-Pierre
Chevènement - En la relayant, vous vous êtes
fait le porte-parole des intérêts particuliers
en tout genre, qui ont su trouver dans ces offices des niches
propices à la gestion des clientèles …………………..
La réalité est pourtant simple. Ce qui a conduit
le représentant de l'Etat, Claude Erignac, à
rejeter, en janvier 1998, le projet de schéma d'aménagement,
c'est que celui-ci n'avait pas, comme il aurait dû
le faire, dégagé les orientations fondamentales
de la protection, de l'aménagement et de l'exploitation
du littoral, c'est-à-dire arbitré entre des
intérêts particuliers au nom de l'intérêt
général.
Les auteurs du projet s'étaient bien gardés
de choisir, pour ne froisser personne, quelles étaient
les zones du littoral à aménager et quelles
étaient celles qu'il fallait protéger.
Au lieu d'encourager les élus de Corse à assumer
les responsabilités que leur confie la loi, on bricole
une expérimentation législative dont les conséquences
en matière de loi littoral effrayent même ces
paladins de l'autonomie que sont M. Mamère et ses
amis verts (Rires sur plusieurs bancs du groupe RCV,
du groupe du RPR et du groupe UDF). Quel symbole
manifestera mieux l'affaiblissement de l'autorité
de l'Etat que l'autorisation d'édifier des constructions
légères, c'est-à-dire des paillotes,
sur la bande des cent mètres, tout au long des côtes
de la Corse !
M. José Rossi - Ce que vous dites est honteux
! Il est inadmissible de lier l'assassinat du préfet
Erignac au schéma d'aménagement ! C'est indigne
et c'est faux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du
groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe RCV)
M. le Président - Monsieur Rossi, calmez-vous
! Vous aurez tout loisir de répondre !
M. Jean-Pierre
Chevènement - Vous le savez bien, l'expérimentation
législative est vouée à l'échec.
En effet, le Conseil constitutionnel ne manquera pas d'observer
qu'on ne peut pas considérer la Corse comme une vaste
université en étendant à l'île
la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993, relative
à la loi universitaire de 1984………………..
M. José Rossi - Je souhaite présenter
un rappel au règlement sur la base de l'article 58,
alinéa 1, dans la mesure où M. Chevènement
a tenu des propos qui portent directement atteinte à
la dignité des élus insulaires et au crédit
de l'Assemblée de Corse.
M. le Président
- Je vous autoriserai à faire un rappel au règlement
après le vote de la question préalable.
M. José Rossi - Rappel au Règlement.
Je regrette profondément que M. Chevènement
ait tenu des propos si fallacieux, et tout d'abord qu'il
s'en soit pris nominativement aux membres de cette assemblée,
ainsi qu'en interpellant et en prenant à témoin
les personnes placées dans les tribunes du public,
ce qui, comme vous le savez, n'est pas dans la tradition
de cette assemblée.
J'ai surtout été choqué et peiné
des propos que vous avez tenus. Dois-je vous rappeler que
les gouvernements successifs ont été incapables
de garantir aux Corses cette première des libertés
qu'est la sécurité ? Quand vous étiez
ministre, le préfet Erignac a été assassiné.
Dois-je rappeler la façon dont vous avez exploité
politiquement ce drame ?
La manière dont vous vous êtes exprimé
sur l'Assemblée de Corse, avec laquelle vous aviez
des relations plutôt épisodiques, suggère
que vous n'aviez pour elle aucune estime. Comment avez-vous
pu faire semblant de dialoguer avec une assemblée
que vous ne respectiez pas ?
Si le préfet Bonnet a pu se laisser aller aux dérives
que l'on sait, je comprends aujourd'hui, compte tenu du
ministre de l'intérieur qui était son patron,
comment il a pu aller jusque-là, et je le regrette
profondément.
M. le Président - Nous sommes loin d'un rappel
au Règlement. Il me semble donc naturel que M. Chevènement
puisse répondre.
M. Jean-Pierre
Chevènement - Je n'ai porté aucun jugement
sur l'Assemblée de Corse. J'ai simplement dit dans
quelles conditions elle avait retourné sa position
entre le 10 mars et le 28 juillet 2000, et j'ai essayé
de donner une explication rationnelle de ce retournement.
Cela n'implique aucun jugement de valeur…………..
M. Roland Francisci
- A tout seigneur tout honneur ; je commencerai donc
en citant les propos tenus par le Premier ministre lors
de son voyage en Corse en septembre 1999 : " Le premier
problème de la Corse n'est pas celui de son statut,
mais celui de la violence.
Un nouveau statut ne servirait à rien, car il serait
immédiatement ruiné par la violence ". " L'apprentissage
obligatoire de la langue corse ", ajoutait M. Jospin, "
porterait atteinte aux libertés individuelles ".
Le 27 octobre, il déclarait encore : " La France
est un Etat unitaire. Un accroissement des pouvoirs locaux
qui déboucherait sur trop de particularisme ou d'inégalité
serait récusé ".
Le projet d'aujourd'hui ne s'inscrit pas dans le droit fil
de ces déclarations, et ne plaide pas en faveur de
la crédibilité qu'on doit accorder aux paroles
du Premier ministre de la France. Depuis deux siècles,
la Corse a fait l'objet d'une trentaine de rapports, dont
le fameux rapport Clemenceau de 1908, et de centaines de
notes et de textes.
Tous y compris le dernier rapport en date, celui de M. Glavany,
soulignent la permanence des mêmes problèmes
: faiblesse des infrastructures et du secteur productif,
handicap insulaire, nécessité de combler les
retards accumulés.
Depuis un quart de siècle sévit un phénomène
nouveau, celui de la violence, porté à son
paroxysme en février 1998 avec l'assassinat de M.
Claude Erignac, préfet de la République, dont
je salue tout particulièrement la mémoire.
Cette violence décourage tous les investissements
et stérilise toutes les initiatives, et donne de
la Corse une image dévastatrice. Face à cette
situation qui n'a rien de mystérieux, la thérapeutique
s'impose : il faut que cesse la violence, il faut prendre
des mesures permettant à la Corse d'effectuer son
rattrapage.
Les propos publics du Premier ministre en Corse, pour ne
rien dire de ses propos privés, exprimaient un accord
sur ces deux points. Ils ont suscité l'adhésion
de la population dans sa grande majorité, et auguraient
bien de l'approbation des propositions à venir. Hélas,
trois fois hélas, le Premier ministre n'a pas tenu
bien longtemps le cap.
Dès novembre 1999, sans explication, il décidait
de faire dériver le navire corse vers des rivages
incertains et dangereux. Renonçant au préalable
de la cessation de la violence, il annonçait l'ouverture
d'une concertation avec les élus, en fait avec les
seuls membres de l'Assemblée de Corse, en précisant
qu'aucun sujet ne serait tabou.
Les nationalistes vont bientôt le prendre au mot et
imposer la discussion de leurs revendications institutionnelles.
Pourquoi ce recul ? Le Premier ministre semble avoir été
impressionné par deux attentats spectaculaires contre
les bâtiments de l'URSSAF et de la DDE d'Ajaccio.
Mais si la politique de la France peut être infléchie
par deux charges de plastic, nous avons des inquiétudes
à nous faire pour l'avenir ! (Applaudissements
sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du
groupe UDF)
Je ne doute pas de la volonté du Premier ministre
de bien faire, et nombre de mesures contenues dans le projet
sont bienvenues. Certaines font d'ailleurs partie des treize
propositions pour l'avenir de la Corse que je lui avais
adressées en mars 2000. Malheureusement il est impossible
de faire abstraction du contexte qui est inquiétant.
Le problème corse n'a jamais été d'ordre
institutionnel. Ni le rapport Glavany ni le rapport Forni
n'a jugé souhaitable de doter la Corse d'un nouveau
statut. Malheureusement le Premier ministre n'a tenu aucun
compte de leur avis.
La Corse a reçu un statut spécial en 1982,
puis un autre en 1991, réputés conduire à
la fin de la violence. On sait ce qu'il en a été.
Je crains qu'il en aille de même pour ce projet-ci.
Au reste, à part les nationalistes, personne ne réclamait
un nouveau statut.
Le rapport Glavany, approuvé à l'unanimité
des trente membres de la commission, conclut que " la relance
d'un débat visant soit à modifier fortement
le statut de 1991, soit à rechercher pour la Corse
une appartenance à une autre catégorie de
collectivité territoriale, constituerait une manoeuvre
ou du moins un comportement dilatoire ".
Les parlementaires qui ont voté ce rapport vont-ils
se déjuger ? Cette position de bon sens aurait dû
inciter le Premier ministre à consulter la population,
ou à tout le moins les 476 élus de la Corse,
et non pas seulement les 51 conseillers territoriaux.
Or, le Gouvernement a fait de l'Assemblée territoriale
son seul interlocuteur. Il lui a conféré un
véritable pouvoir constituant alors que, selon une
décision du Conseil constitutionnel de 1991, elle
a un caractère administratif, et alors que ses membres,
à l'exception des nationalistes, n'avaient jamais
fait campagne en faveur d'un nouveau statut.
Les réunions de Matignon se sont focalisées
sur les revendications des nationalistes qui ne représentent
pourtant que 10 % de l'électorat !
Le rapport Forni rappelle que " la qualité d'interlocuteur
ne doit pas être reconnue aux personnes continuant
ou refusant de condamner la violence terroriste ". Malgré
cette sage recommandation, les nationalistes ont été
les interlocuteurs privilégiés du Gouvernement,
allant jusqu'à déclarer, non sans raison,
que tout ce qu'ils avaient obtenu c'était par la
violence, et que le processus de Matignon avait été
exclusivement alimenté par leurs idées.
Leur chef de file ne manque jamais de dire qu'il ne s'est
jamais senti Français et qu'il ne chantera jamais
la Marseillaise. Voilà avec qui vous voulez décider
de l'avenir de la Corse qui est une région française
à part entière. Ce n'est ni juste ni acceptable
! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et
sur quelques bancs du groupe UDF)
Tout s'est passé comme si ces 10 % renforcés
par la menace du plastic pesaient plus que les 90 % de la
population apeurée. Cela n'est pas tolérable
en démocratie. Cette pression permanente des nationalistes
vous a conduit à accepter nombre de leurs revendications
tout en sachant qu'elles n'étaient guère conformes
à la Constitution. Saisi, le Conseil d'Etat, qu'on
ne peut soupçonner d'esprit partisan, a appelé
l'attention du Gouvernement sur le caractère inconstitutionnel
de certains articles.
Par entêtement, vous avez passé outre.
Le Président de la République, gardien des
institutions, a rappelé que le pouvoir législatif
était de la compétence exclusive du Parlement,
le pouvoir réglementaire de celle du Gouvernement.
Les ingénieux néologismes de " pouvoir législatif
encadré " ou " partagé " ne font pas partie
de notre arsenal constitutionnel.
Conscient de ce dérapage, votre prédécesseur
avait soumis un projet " à la limite de ce qui était
acceptable du point de vue de l'Etat républicain.
" Répondant au problème de la Corse, il aurait
recueilli l'adhésion la plus large.
Le Premier ministre l'a rejeté, M. Chevènement
a démissionné, de même que M. Zuccarelli.
Pourquoi un tel entêtement ? Voulez-vous faire de
la Corse un laboratoire ? La grande majorité des
Corses ne veulent pas jouer le rôle de cobayes.
Si le projet ne vise que la Corse, il met l'île en
marge de la République, avant de la mettre en dehors,
sous le souffle de quelques charges de plastic. Si l'on
pouvait faire abstraction du contexte, votre projet mériterait
peut-être un regard plus bienveillant.
Mais il s'inscrit dans un contexte de concessions aux nationalistes,
de chantage à la violence. Puis il comporte cette
bombe à retardement du changement constitutionnel
de 2004 vers l'indépendance.
Le chef de file des indépendantistes, principal négociateur
des accords de Matignon, dit " Le véritable enjeu,
c'est 2004 ". Et pour certains, le Gouvernement prend là
un engagement que lui-même ou ses successeurs seront
invités à honorer. Votre politique mettra
fin à la violence, direz-vous. Comment y croire,
alors que ceux qui la pratiquent, refusent de déposer
les armes et ceux qui la couvrent, ne cessent de la brandir
en refusant de la condamner ?
Qui peut croire à la fin de la violence, alors qu'en
2000, malgré la trêve annoncée, il y
a eu en Corse 196 attentats, 14 meurtres, 26 tentatives
d'homicides, et que les attentats récents contre
des gendarmeries ont été revendiqués
par le FLNC ?
Qui peut croire à la paix alors que des personnes
cagoulées distribuent des tracts en plein jour dans
plusieurs villes de Corse ?
En définitive, vous avez négocié avec
des interlocuteurs dont vous ne connaissez pas les visages.
M. le Ministre - De grâce, pas vous !
M. Roland Francisci - Même si le Parlement corrige
les dispositions peu conformes à la Constitution,
vous avez enclenché bien légèrement
un mécanisme centrifuge, susceptible de porter atteinte
à l'unité du pays et à l'égalité
des citoyens devant la loi.
Je reconnais néanmoins les points positifs du projet
en matière économique et sociale.
Et certes vous avez modifié l'article premier par
souci de la Constitution. Les juristes diront si elle est
respectée.
Votre objectif n'en reste pas moins d'amorcer un transfert
du pouvoir législatif et réglementaire. Est-ce
vraiment coïncidence si le 13 mai s'est constitué
le parti Indipendanza, qui ne condamne pas la violence ni
la clandestinité ?
Dans ces conditions, en approuvant votre projet, en cautionnant
son exposé des motifs, j'aurais le sentiment de trahir
et la Corse et la France.
M. Pierre Lellouche - Très bien.
M. Roland Francisci - J'aime la Corse et j'aime la France.
Je suis persuadé que vous partagez ce double attachement.
Aussi, faites en sorte - il en est peut-être encore
temps- de ne rien accepter ou entreprendre qui puisse les
éloigner l'une de l'autre, dans l'intérêt
de la Corse, de la France, de l'unité de la République
(Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, sur
de nombreux bancs du groupe RCV et sur quelques
bancs du groupe UDF).
M. Pierre Albertini - Je veux poser, au nom de l'UDF,
trois grandes questions. Un nouveau statut institutionnel
garantirait-il le retour de la paix civile en Corse, son
développement économique et culturel ?
A l'évidence, non, et j'espère que le Gouvernement
ne se montrera pas oublieux de l'histoire récente
au point d'affirmer le contraire, même si l'on peut
observer que la réflexion institutionnelle a tendance,
aujourd'hui comme hier, à épuiser la réflexion
tout court, si ce n'est à servir d'alibi pour éviter
de parler des choses sérieuses, comme la continuité
territoriale, les retards d'équipement et de développement,
la sécurité, ou encore l'esprit d'initiative
et d'entreprise des acteurs économiques.
J'insiste d'autant plus pour que l'on ne passe pas ces aspects
sous silence, que l'exposé des motifs du projet envisage
une révision constitutionnelle en 2004, révision
qui pourrait faire disparaître les deux départements
et donner un pouvoir législatif, définitif
celui-là, à l'Assemblée de Corse.
Voilà qui nous rend dubitatifs. Deuxième question
: les accords de Matignon sont-ils équilibrés,
c'est-à-dire comportent-ils les contreparties normales
que devrait comporter toute rencontre de volontés
?
Nous observons au contraire que seul le Gouvernement s'est
engagé, les autonomistes - ou indépendantistes
- ne perdant pas une occasion, quant à eux, de rappeler
qu'ils ne se sentent tenus à rien, pas même
à faire revenir la paix civile.
Quant au rôle du Parlement, le Gouvernement semble
en avoir une conception des plus restrictives, nous demandant
de ratifier le texte sans presque l'amender, " c'est à
prendre ou à laisser ", " circulez, il n'y a rien
à voir " (Protestations sur les bancs du groupe
socialiste), ce qui est évidemment inacceptable,
car notre rôle est bien de faire la loi de la République
(" Très bien ! " sur plusieurs bancs du groupe
UDF et du groupe du RPR).
Troisième question, et non la moindre : pouvons-nous
refuser à la Corse une nouvelle chance de retrouver
la paix civile et le chemin du développement ? Quelle
que soit notre perplexité, nous ne le pouvons pas,
car ce serait passer à la conclusion avant d'avoir
tenté la démonstration, et c'est pourquoi
nous avons rejeté, tout à l'heure, la question
préalable.
On sait pourquoi et comment la Corse a basculé, dans
les années 60-70, dans le drame de l'enfermement,
dans une sorte de tragédie grecque - qui se termine
généralement, on le sait aussi, par la mort
de tous les protagonistes...
Les responsabilités sont partagées : lourdes
sont celles des gouvernements successifs, qui ont fait preuve
d'une cécité quasi-totale devant les aspirations
des insulaires, et ont choisi de diviser pour régner,
de distribuer faveurs et subventions pour maintenir la Corse
sous assistance, au lieu de concevoir une vision à
long terme, mais il faut reconnaître, d'un autre côté,
que les Corses eux-mêmes ont trouvé assez confortable
d'arguer des carences de l'Etat pour ne pas voir leurs propres
turpitudes ou, plus simplement, leurs propres insuffisances
- patentes, en particulier, pour ce qui est de l'esprit
d'entreprise, et je ne m'exclus pas du lot...
Est-il possible, aujourd'hui, de sortir de cette situation
par le haut ? Il y a au moins deux aspects positifs, reconnaissons-le,
dans le projet qui nous est soumis. Le premier est l'extension
des compétences de l'assemblée territoriale,
car le législateur de 1991 était resté
au milieu du gué. Il est essentiel que la Corse trouve
elle-même les chemins de ce qu'elle souhaite en matière
d'aménagement, de développement, de culture,
de patrimoine, de tourisme, et il lui sera désormais
difficile de s'abriter derrière les insuffisances
de l'Etat.
Le second point positif est la reconnaissance, dans la nouvelle
version rédigée par le Rapporteur, de la faculté
d'expérimentation : c'est une notion à laquelle
l'UDF est très attachée, et qui a d'ailleurs
fait l'objet d'une proposition de loi de Pierre Méhaignerie,
que l'Assemblée a votée. Reste qu'entre l'adaptation
et la dérogation, il y a une différence de
taille, que tous les juristes connaissent. Nous disons oui
à des adaptations mineures, non à des dérogations
qui iraient à l'encontre de la loi elle-même.
Or, vous vous êtes échinés à
concevoir, dans l'article 1er, un pseudo-pouvoir
d'adaptation qui, malgré le rabotage auquel vous
avez procédé pour éviter les foudres
du Conseil constitutionnel, reste compliqué et, pour
tout dire, inapplicable -ce qui est peut-être, soit
dit en passant, sa plus grande vertu. Mieux aurait valu
se contenter de transférer de nouvelles compétences
et d'ouvrir la voie à l'expérimentation que
d'engager ce chantier des plus incertains.
Prenons l'exemple de la loi littoral. Je suis de ceux qui
pensent que la règle des cent mètres inconstructibles
doit valoir pour toutes nos côtes, qu'elles soient
bretonnes ou corses, et je suis donc extrêmement inquiet
à l'idée qu'en y apportant des " adaptations
" canton par canton, on puisse aboutir à défigurer
des sites admirables.
S'agissant des droits de succession, il n'est que temps
de faire entrer la Corse dans le droit commun car nos villages
se meurent du maintien de la moitié de leurs constructions
dans l'indivision (Applaudissements sur plusieurs bancs
du groupe UDF). Enfin, il est essentiel que l'enseignement
de la langue corse reste vraiment facultatif afin que les
parents qui désirent y soustraire leurs enfants ne
subissent pas une pression sociologique contre laquelle
ils n'auraient pas la possibilité réelle de
résister. Nous sommes donc favorables à une
spécificité administrative de la Corse que
justifient son insularité et son histoire mais résolument
hostiles à une évolution subreptice de son
statut qui l'amène à se dégager de
l'ensemble français auquel elle est si étroitement
liée.
La fonction de la loi est d'exprimer un message clair, pas
de créer des dispositifs incompréhensibles
dans lesquels nul ne peut se retrouver. Le groupe UDF aborde
ce texte dans un esprit de grande ouverture et reste très
partagé pour le vote qui interviendra mardi prochain.
Nous considérons du reste que chaque député
est libre de se déterminer en conscience à
l'issue du débat parlementaire. Nous aurions cependant
préféré connaître vos intentions
en matière de décentralisation avant d'aborder
ce projet.
Vous avez déclaré, Monsieur le ministre, que
vos projets en la matière n'étaient pas enterrés
mais le rapport Mauroy vous a été remis en
octobre 2000 et nous ne voyons rien venir. N'eût-il
pas été préférable de situer
la Corse dans un mouvement beaucoup plus large de décentralisation
?
S'il est légitime de reconnaître la spécificité
de la Corse, n'est-il pas temps de répondre aussi
aux aspirations légitimes des autres régions
à plus d'autonomie administrative ? Notre groupe
proposera plusieurs amendements à ce texte et se
déterminera dans le vote à l'issue du débat
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur
quelques bancs du groupe RPR). M.
Noël Mamère -
Ce texte qui serait banal dans la plupart des démocraties
a suscité, en France, un débat si passionné
qu'un ministre a cru bon de démissionner pour le
combattre, alors même qu'il résultait d'une
concertation exemplaire entre les élus de la République
et les représentants de l'Etat. Si nous avons mal
à la Corse, c'est que nous entretenons avec la République
et la nation une relation ambiguë.
Pour ma part je ne confondrai jamais Nation et nationalisme
et suis pleinement d'accord avec ce que déclarait
Lionel Jospin dans son discours de politique générale
du 19 juin 1997 : " La Nation est non seulement la réalité
vivante à laquelle nous sommes tous attachés,
mais surtout le lieu où bat le coeur de la démocratie,
l'ensemble où se nouent les solidarités les
plus profondes. Elle reste le cadre naturel des réformes
essentielles dont notre pays a besoin ".
La France est ce pays singulier où l'Etat, la Nation
et la République n'ont fait qu'un, recouvrant la
société d'une chape de plomb. Cette période
se termine. Je m'en réjouis et je voudrais plaider
pour une France qui ne se recroqueville pas sur son passé.
Deux France se côtoient dans l'histoire, parfois imbriquées,
parfois en guerre.
L'Etat-Nation a vaincu, non sans résistance, les
solidarités communautaires locales, imposé
une langue unique, développé un Etat où
toutes les demandes convergeaient vers Paris. Il faudra
attendre les années cinquante, pour que notre pays
comprenne que la pieuvre centralisatrice avait asphyxié
ses provinces.
Ce fut " Paris et le désert français ". Architecte
du monarchisme républicain, en imposant la Constitution
de la Ve République, le général
de Gaulle proposa, en 1969, une première régionalisation
que s'empressèrent de combattre ses " amis " politiques,
Pompidou et Giscard d'Estaing.
Mais Volem viure al païs, Vivre et travailler
au pays, furent les grandes revendications des années
soixante. Grâce aux lois Defferre, les régions
se formèrent dans les vingt dernières années.
Il faut aller plus loin. La République ne peut se
réduire à la seule histoire du jacobinisme
triomphant. Non, la France ne se réduit pas à
Hugues Capet, Louis XIV, Robespierre, Napoléon, Jules
Ferry ... et l'ENA.
La France, c'est aussi la résistance multiforme des
sociétés locales, la rébellion face
au pouvoir central. Pascal Paoli est pour nous aussi important
et peut être plus que Buonaparte...
M. François Léotard - Très bien.
M. Noël Mamère - La mémoire du peuple
corse est aussi celle d'un certain passé colonial
où 30 000 soldats investirent l'île en 1768
pour conquérir un pays dont les institutions démocratiques
faisaient l'admiration de l'Europe des Lumières.
La France a un devoir de réparation envers le peuple
corse. Par ce texte, elle commence à l'assumer aujourd'hui.
Il y a deux visions de la Nation, de la République.
Celle dont je me sens l'héritier vise à limiter
les pouvoirs par l'émergence de contre-pouvoirs,
à limiter le centralisme par le pouvoir régional,
à réduire l'emprise de l'appareil d'Etat ou
de la Commission européenne, par le recours au principe
de subsidiarité. Ma République oppose la région
au département, l'Europe des régions à
l'Europe des nations, l'universalité des droits de
l'homme au repli nationaliste sur un territoire.
La République, pour certains, devrait garder la Corse
dans le même état qu'à la veille de
la Révolution.
Mais si l'Etat n'anime pas les territoires, coordonnant
les régions, le fossé entre les deux France
ne se comblera pas. Ces " républicains " visent ceux
qui veulent étendre le champ de l'égalité,
de la fraternité, de la liberté, ceux qui
veulent utiliser leur langue. Ces derniers, pour leur part,
apprécieraient que l'Etat républicain empêche
les clans de trafiquer les listes électorales à
Paris ou à Bastia, et protège bergers et paysans
contre les spéculateurs.
Nos modernes républicains sont des conservateurs.
Au nom d'une Histoire mythique, ils refusent les évolutions
du monde. Par idéologie ils refusent de voir que
la vraie crise du modèle républicain vient
du délitement du lien social. Crier " République,
République, République " debout sur un tabouret
ne suffit pas.
Il faut créer des droits, des symboles, inventer
une nouvelle citoyenneté. C'est ce que nous faisons
avec ce texte. Dans la politique de l'Etat français
en Corse, une parenthèse intelligente avait été
ouverte lors du gouvernement Rocard, sur fond de règlement
de la question néo-calédonienne, par son ministre
de l'intérieur Pierre Joxe, père du statut
actuel de l'Ile. Parenthèse vite refermée
par le Conseil constitutionnel, censurant la notion de "
peuple corse " incluse dans la loi de 1991.
Pierre Joxe, à présent membre du Conseil constitutionnel,
récidive, en lisant en langue corse et en pleine
audience solennelle de la Chambre régionale des comptes
d'Ajaccio, l'article 15 de la Déclaration des droits
de l'homme, qui précise que la société
a le droit de demander des comptes à ceux qui sont
chargés de son administration... Continuer dans cette
voie de la transparence, de l'examen des convergences et
des divergences, c'est cela la méthode républicaine
et démocratique.
Nous regrettons la frilosité de la commission des
lois qui, à l'article premier, a renoncé au
pouvoir d'adapter la loi pour n'accorder " le cas échéant
" qu'un droit de dérogation à la loi de la
République. Pourquoi l'avoir ainsi édulcoré
? Regardons du côté de la Catalogne, de l'Emilie
romagne, de la Sarre, de l'Ecosse...
M. Bernard Roman, président de la commission des
lois - Du côté du Conseil constitutionnel...
M. Noël Mamère - Enfin, ce projet ouvre
la voie à l'émancipation des autres régions
de France. Le renforcement du pouvoir régional dans
le cadre d'une VIème République, voilà
notre objectif.
Le combat a déjà commencé ; en attestent
les efforts déployés par plusieurs organisations
ou députés proches de MM. Pasqua ou Chevènement
pour empêcher la France de signer la Charte européenne
des langues régionales et minoritaires. Les mêmes
voudraient empêcher que l'on initie à l'histoire
de la Corse les enfants d'Ajaccio, de Bastia et de Corte.
Pour retrouver les fondements d'une société
démocratique, la Corse a besoin de sortir de son
face-à-face stérile avec l'Etat.
A cet égard, l'Europe est une chance pour la Corse,
comme d'ailleurs pour les nombreuses autres nations sans
Etat du continent. Nous sommes, nous les Verts, à
la fois régionalistes, européens, fédéralistes
et mondialistes. Nous n'avons pas les complexes des héritiers
du jacobinisme. Nous faisons le pari d'une France sans départements
et sans préfet Bonnet, dans une Europe des régions
et des peuples solidaires.
Tout autour de la France, les Etats nations évoluent
dans le même sens. La France ne peut se tenir encore
longtemps à l'écart de ce développement
des autonomies. Vous ferez oeuvre de construction républicaine
en votant ce texte important pour l'avenir du peuple corse
et du peuple français dans le cadre d'une Europe
fédérale.
M. François Léotard - Monsieur le ministre,
sans du tout mettre en cause vos qualités, je regrette
que pour un tel débat, dont la gravité n'échappe
à personne, le Premier ministre ne soit pas présent.
Je voudrais évoquer en commençant la mémoire
du préfet Erignac, grand serviteur de l'Etat, dont
la disparition a provoqué une légitime émotion
dans toute notre communauté nationale.
Elle a aussi conduit à réfléchir sur
la violence dans cette région, qui est la seule à
s'être libérée elle-même à
la fin de la guerre et qui est dépositaire de valeurs
précieuses. Comme trop souvent, nous examinons aujourd'hui
une réponse en négligeant la question.
La question corse traduit l'anxiété des Français
concernant ce qui doit fonder notre communauté nationale.
Nulle part ailleurs sur notre territoire l'ordre public
n'a connu une telle dégradation, et c'est ce qui
m'amènera probablement à voter ce projet.
Cette dégradation s'est traduite par des assassinats
politiques, par des dérives mafieuses, par l'inscription
IFF -" Les Français dehors "- accueillant les gendarmes
mobiles ou les CRS à leur arrivée sur l'île,
par l'assassinat d'un préfet et l'embastillement
de son successeur.
La question, c'est aussi l'histoire. Une seule date : 1768,
un an avant la naissance du futur empereur des Français,
qui a voué jusqu'à l'âge de 20 ans une
haine tenace à la France. A cette date, il y a un
Etat corse, une monnaie, un journal officiel, une armée,
une Constitution - la première Constitution écrite
de l'histoire des démocraties occidentales.
La question, c'est également l'absence en France
d'une politique méditerranéenne. Le regard
français sur le Sud a toujours été
marqué par une condescendance faite d'arrogance et
d'ignorance. La question, c'est encore l'attitude de nos
compatriotes à l'égard de la Corse, parfois
méprisante et presque toujours ironique. La réponse
est le processus de Matignon.
Les jugements portés sur celui-ci sont étonnants
et excessivement partisans. Il s'ait d'un dialogue avec
des élus : qu'y a-t-il de plus républicain
? Je voudrais dire à José Rossi qu'il n'est
pas seul, que beaucoup de nos compatriotes continentaux
ont approuvé la dignité de sa démarche.
L'opposition républicaine en Corse, c'est-à-dire
le RPR et l'UDF, a ratifié ce processus, mais le
risque est réel d'un divorce entre l'opinion insulaire,
favorable à une évolution du statut, et l'opinion
continentale, frappée d'une grande lassitude.
La réponse est aussi marquée par des oublis.
Lorsqu'on a construit l'Europe, on a oublié de donner
aux régions françaises les outils d'une autonomie.
Et aujourd'hui, nous entendons M. Chevènement prôner
un jacobinisme hystérique, en exploitant le marché
électoral de la peur. Ce texte serait une prime à
la violence ?
Non, c'est une prime au désarroi et à la lassitude
de l'opinion insulaire et continentale. Il y aurait un risque
de corsication des emplois publics ?
Mais il n'y a pas si longtemps, les commissaires de police,
les inspecteurs d'académie, le recteur, les préfets
étaient corses. On irait vers une destruction du
littoral corse ?
Mais le littoral de la Côte d'Azur, avec la bénédiction
de l'Etat, a été profondément saccagé.
Sans doute les Corses ne sont-ils pas totalement étrangers
au fait que le littoral corse ait été jusqu'à
présent protégé. Certains parlent de
singularité juridique ? Mais tous les pays qui nous
entourent donnent à leurs régions des pouvoirs
importants. Une majorité d'Européens vit sous
un statut d'autonomie. Il reste deux questions.
D'abord celle de la langue. La langue corse, selon certains,
serait inutile et sans intérêt. Mais elle est
un moyen de retrouver ses racines et d'exprimer la diversité
de la nation française. Ensuite, celle de la protection
du littoral. Je vous demande, Monsieur le ministre, de vous
faire l'interprète de nombreux élus corses
pour demander une augmentation des crédits du Conservatoire
du littoral.
Monsieur le ministre, vous êtes hélas dans
le droit fil de la déclaration de politique générale
de M. Jospin. Il avait parlé de la Corse, mais n'avait
pas dit un mot sur la décentralisation. Vous voulez
régler la question corse sans développer la
décentralisation ; or c'est de la crise profonde
de l'Etat-nation qu'il faudrait aujourd'hui débattre.
L'effervescence intellectuelle qui a régné
en Corse lors du processus de Matignon n'était pas
éloignée de celle qui, de 1729 à 1769,
a permis aux Corses d'exprimer juridiquement leur identité.
Lors d'un colloque, un juriste a déclaré :
l'autonomie n'est pas la mère de l'indépendance,
elle est la fille de la décentralisation. Si tel
était bien le cas, ce serait une bonne nouvelle pour
ceux des Corses qui considèrent qu'il n'y a aucune
contradiction à être à la fois Européen,
Français et Corse (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL).
M. Paul Patriarche - Pour la troisième fois en
moins de vingt ans, le Parlement est invité à
délibérer sur un texte concernant l'organisation
institutionnelle de la Corse.
Une telle attention des pouvoirs publics mériterait
d'être saluée si elle était dictée
par le seul souci de répondre à la spécificité
géographique, économique et culturelle de
l'île et d'y adapter la réforme de la décentralisation,
mais ce sont en réalité des questions d'une
autre nature qui sont principalement à l'origine
de ces bouleversements statutaires.
Depuis un quart de siècle, en effet, la République
est confrontée, en Corse, à un problème
de nature politique, sur lequel ont buté tous les
gouvernements successifs, sans pouvoir le résoudre.
Un mouvement revendicatif, régionaliste à
l'origine, puis autonomiste, a pour objectif de faire accéder,
un jour, la Corse à l'indépendance, tandis
que la population, dans son immense majorité, est
attachée à la France et à la République.
Il n'y aurait là rien de préoccupant, dans
la mesure où le peuple exprime ses choix par le suffrage
universel, mais depuis 1975, l'Etat est confronté
à l'usage de la violence. Cette violence prend des
formes variées dont la plus odieuse attente aux vies
humaines ; elle divise la population, met à mal l'économie
de l'île et donne de ses habitants une mauvaise image
aux yeux du reste de la population française qui
instruit contre eux de mauvais procès.
Pour y remédier, les gouvernements successifs ont
tout tenté : la répression et la conciliation,
la fermeté et la faiblesse, la générosité
et la parcimonie, la réforme ou le statu quo ; rien
n'a pu enrayer le cercle infernal de la violence. Faut-il
pour autant se résoudre à laisser la Corse
s'éloigner du reste de la nation ?
Il est de notre responsabilité d'apporter des réponses
apaisantes aux difficultés de l'île, pour que
la violence cesse et que la Corse, enfin dotée des
moyens nécessaires à son développement,
reste arrimée à la République. Le présent
projet répond-il à ces exigences ?
Pour tenter de ramener durablement la paix civile, le Premier
ministre a engagé une concertation avec l'ensemble
des forces politiques insulaires. Il a obtenu d'elles un
très large consensus sur un projet qui tend à
renforcer les compétences de la collectivité
territoriale, à améliorer le statut fiscal
et à mettre en oeuvre un vaste programme d'équipements.
Les mouvements nationalistes ont adhéré à
cette démarche, au bénéfice de l'octroi
à l'Assemblée de Corse d'un pouvoir d'adaptation
de la législation et de l'enseignement obligatoire
de la langue corse dans les établissements scolaires
du premier degré. C'est sur ces deux points qu'un
débat national exigeant s'est engagé.
Les uns dénoncent ce qu'ils considèrent comme
une capitulation devant les exigences de nationalistes et
considèrent que l'unité de la République
est menacée. D'autres soutiennent la thèse
inverse et rappelle que la réforme de la Constitution
n'est envisagée que dans trois ans. Entre ces deux
positions, n'y a-t-il pas moyen de rechercher la voie de
la sagesse ?
Je m'y suis efforcé depuis le début du " processus
de Matignon ". Qu'il s'agisse du pouvoir d'adaptation des
lois ou de l'enseignement de la langue corse, il est impératif
que la loi qui sera votée soit conforme à
la Constitution.
Nous devons aller à la limite de ce qu'autorise la
loi fondamentale, sans avoir la faiblesse de rester très
en deçà de la norme car, alors, les dispositions
prises seraient inutiles. Mais nous ne devons surtout pas
franchir la limite car la censure du Conseil constitutionnel
rendrait le " remède " plus nocif que le mal.
D'aucuns considèrent qu'il n'y a pas de raisons que
les autres régions de France ne puissent bénéficier
des mêmes pouvoirs. Une décentralisation aboutie
devrait en effet conduire à donner aux conseils régionaux
un certain pouvoir normatif dans les domaines où
la loi leur a transféré des compétences.
De même, je suis un partisan fervent de la généralisation
de l'enseignement des langues régionales, car elles
sont constitutives de notre patrimoine. Pour autant, je
ne puis comprendre que l'on s'oppose à l'application
du droit commun en Corse.
Si toutes les régions étaient des îles,
cette position serait justifiée. Mais refuser à
une île une organisation administrative particulière,
un statut fiscal spécifique et des moyens de développement
adaptés c'est prendre le risque de voir surgir des
affrontements.
L'Union européenne en a convenu puisque le traité
d'Amsterdam fait obligation aux Etats de prendre en compte
les handicaps permanents qui nuisent au développement
des îles. Si de telles préoccupations avaient
inspiré l'action des pouvoirs publics depuis cinquante
ans, la Corse ne se trouverait pas aujourd'hui dans la situation
douloureuse qui est la sienne et la République n'aurait
pas à régler dans les pires conditions le
lancinant problème qu'elle lui pose.
Soyons audacieux et donnons à la Corse les moyens
de se libérer des démons qui la rongent. Permettons
lui tout à la fois de rattraper son retard de développement
et de préserver son patrimoine. Ce projet a du reste
le mérite d'aborder la question de manière
globale. C'est parce qu'ils ont privilégié
les aspects institutionnels sur les enjeux d'ordre économique
que les statuts de 1982 et 1991 n'ont rien réglé.
De même, ce projet élargit sensiblement les
pouvoirs de la collectivité territoriale de Corse.
Il permet de mettre en oeuvre un statut fiscal plus moderne
et donne sa chance à la langue corse.
Enfin, il apporte une réponse au déficit dont
souffre la Corse en matière d'équipements
collectifs. Cependant, mon expérience à l'Assemblée
de Corse et au Conseil exécutif me permet d'y déceler
plusieurs lacunes. Il est notamment regrettable que les
anomalies du statut de 1991 n'aient pas été
corrigées, alors même qu'elles nuisent à
la mise en oeuvre des transferts de compétences à
la collectivité territoriale de Corse. De même,
le texte n'éclaircit pas totalement l'organisation
administrative et le prologue des compétences entre
l'Etat et la collectivité.
Les services déconcentrés de l'Etat seront
maintenus en l'état dans les domaines de compétences
transférés. Ainsi, on retrouvera la situation
actuelle où pour un même secteur, subsistent
deux politiques, deux administrations et des financements
croisés. On est loin des objectifs affichés
d'efficacité administrative et de simplification.
Cette situation sera d'autant plus néfaste qu'aucune
disposition n'est prévue pour développer la
déconcentration, corollaire indispensable de la décentralisation.
Comment ne pas évoquer aussi les moyens octroyés
à la collectivité territoriale dans des conditions
dont l'expérience tend à prouver qu'elles
ne sont gère satisfaisantes, qu'il s'agisse des ressources
financières ou des personnels transférés
par l'Etat ?
Il convient aussi de permettre à la collectivité
territoriale de cofinancer ses opérations qui seront
réalisées dans le cadre du programme exceptionnel
d'investissements.
A défaut, cette mesure essentielle n'aura aucune
portée réelle. S'agissant enfin de la réforme
du statut fiscal, les dispositions retenues pour louables
qu'elles soient, demeurent insuffisantes sur des points
essentiels tels que le crédit d'impôt, la taxe
professionnelle et les modalités de sortie de la
zone franche.
Nous souhaitons que la loi permette de faire de l'outil
fiscal un moyen de développement efficace, tout en
maintenant l'effort de solidarité nationale dont
bénéficie une région où le tissu
économique reste très dégradé.
Par delà les considérations politiques, ce
projet de loi peut aller dans le sens attendu du retour
à la paix civile dans une région traumatisée
et malheureuse.
Il tend aussi à mieux prendre en compte les contraintes
de l'insularité, et à créer les conditions
d'un développement durable pour une île trop
longtemps abandonnée par la République.
Je souhaite que le débat parlementaire permette de
l'améliorer, de manière à ce que la
Corse trouve dans la nation la place qu'elle devrait occuper
depuis longtemps (Applaudissements sur les bancs du groupe
DL et du groupe UDF)
M. Jean-Antoine Leonetti - Notre débat
est essentiel, en ce qu'il porte sur le coeur même
du pacte républicain. Nous ne discutons pas seulement
de la Corse, mais de l'avenir de la France. La démarche
du Gouvernement, si elle a le mérite d'être
engagée avec les élus, paraît néanmoins
incohérente.
Il est impossible d'aborder le problème corse sans
traiter de la décentralisation, et sans affirmer
clairement que le processus en cours ne constitue pas une
étape vers l'indépendance de l'île.
En commission des lois, vous m'avez répondu que vous
ne vouliez pas répondre à ma question.
Dans une situation de guerre, on fait la paix, et c'est
alors à la négociation, et pas au processus
législatif, qu'il est fait appel. Il est alors logique
de lier la paix à l'amnistie, et que les belligérants
se séparent. Si nous sommes dans ce cas, dites-le
nous.
En revanche, s'il s'agit d'approfondir la décentralisation
en faisant toute sa part aux spécificités
corses, vous aurez à vos côtés la plupart
des députés UDF, y compris moi-même.
Il semble que vous hésitiez entre les deux situations,
et que vous éprouviez de grosses difficultés
à respecter à la fois votre parole envers
les élus de Corse et la Constitution.
En effet, plus vous modifiez le texte initial, et plus vous
vous éloignez de l'accord préalable, au risque
d'une éventuelle reprise de la violence. Je crains
que ce texte, s'il doit entrer dans le cadre de la Constitution,
ne satisfasse plus les nationalistes et ne permette pas
le retour à la paix civile.
Ne prenons pas le risque d'une nouvelle occasion manquée
pour la Corse, et sachons donner à la France une
chance de combler son retard européen dans la reconnaissance
du fait régional. Au-delà des caricatures,
et sans nier les responsabilités locales, mesurons
la somme des erreurs des gouvernements successifs, y compris
celui de M. Jospin, pour régler le problème
corse : répression aveugle, négociation souterraine,
impunité des coupables, incapacité à
mettre fin à la violence, sont associées à
une culpabilisation globale et injustifiée de la
population insulaire.
Lorsque le préfet Erignac a été lâchement
assassiné, 40 000 personnes ont défilé
à Ajaccio, ce qui équivaudrait à Paris
à plusieurs millions. La Corse sait se lever dans
la dignité quand elle estime que les bornes sont
franchies. Notre histoire récente doit beaucoup aux
Corses, qui se sont mobilisés pour défendre
nos valeurs.
Les monuments aux morts, dans les plus petits villages de
l'île, en portent douloureusement témoignage.
Pour sortir de l'impasse, il convient de consulter le peuple,
non pas sur la Corse en soi, ce qui risquerait d'être
mal ressenti ; n'avons-nous pas entendu un ancien Premier
ministre déclarer : " Si les Corses veulent leur
indépendance, qu'ils la prennent ! " ?
Il s'agirait de proposer une nouvelle étape de la
décentralisation, dont la Corse profiterait au premier
chef. On doit en effet procéder du général
au particulier, et non pas l'inverse. Chacun peut convenir
que la cohésion nationale et l'unité du pays
n'imposent pas l'uniformité. Entamer ainsi un nouvel
âge de la décentralisation est une chance à
saisir, pour la Corse et pour les autres régions
françaises, sans porter atteinte à l'indivisibilité
de la République, mais en répondant à
l'aspiration croissante de nos concitoyens à plus
de proximité dans la prise de décision et
en évitant l'application uniforme des règles
communes sans tenir compte de la diversité des situations.
Il s'agit aussi de clarifier la responsabilité des
différentes collectivités et de l'Etat, et
de mettre en oeuvre la pratique de l'expérimentation
dans un cadre juridique clair.
C'est là pour nous la seule voie pour la France,
et pour la Corse qui pourra ultérieurement décider
de son ancrage et de sa vie commune dans la République.
Parions que les Corses souhaiteront continuer à vivre
au sein de cette République. " Chaque fois que la
France entame une période nouvelle de sa vie et de
sa grandeur ", disait Charles de Gaulle, " il faut que les
Corses en soient les artisans ou les témoins privilégiés
".
Je crains cependant que votre voie soit trop étroite,
et ne satisfasse ni les plus jacobins, ni les partisans
d'une forte décentralisation, ni les indépendantistes,
qui seront à nouveau tentés par la violence.
Je redoute une occasion manquée de plus pour la France
et pour la Corse ! (Applaudissements sur les bancs du
groupe UDF et du groupe du DL). |