De
façon régulière, et cela a encore été le cas tout récemment,
la presse se fait l'écho de manifestations dans la périphérie
de l'Hexagone, qui ont pour objectif de défendre telle ou
telle langue régionale. L'information n'appelle pas beaucoup
de commentaires, ni ne suscite de polémiques, et elle est
rapidement oubliée. Ce sujet apparemment n'interpelle guère
l'opinion nationale. Il y a bien pourtant en France une
question linguistique, et elle est importante. Importante,
bien sûr, pour les locuteurs de ces langues et pour toute
personne de culture ne se désintéressant pas du patrimoine
linguistique du pays, mais importante aussi, au plan symbolique.
Il y a en effet une contradiction évidente pour la France
à se présenter en défenseur de la diversité culturelle et
linguistique, en promouvant pour l'Europe une attitude active
en cette matière, et à pratiquer une politique exactement
contraire sur son propre territoire, où la pluralité des
langues, pourtant remarquable, est au mieux ignorée et le
plus souvent tenue en suspicion, comme s'il s'agissait d'une
menace pour l'unité de l'Etat.
Le
seul message positif que la France ait su adresser à l'Europe
en matière culturelle durant la période récente est celui
d'une action en faveur d'un monde laissant sa place à la
diversité culturelle et, par conséquent, linguistique. Elle
le fait au nom de principes où cette diversité est positivement
appréciée en elle-même et pour elle-même. Et c'est un message
important dans un espace globalisé ou les échanges humains
et culturels vont sans cesse croissant, sans que l'on sache
très bien quelles pourront être les voies de régulation
qui permettront sinon d'éviter, du moins de réduire les
effets négatifs de cette évolution, par ailleurs largement
positive et souhaitable. Mais quelle peut être la portée
de ce message si le même Etat pratique une politique de
proscription à l'égard des langues qui appartiennent à son
propre patrimoine culturel? Pourquoi le monolinguisme et
l'homogénéisation culturelle totale seraient-ils un danger
pour l'Europe et le monde, et au contraire un projet politique
positif dans la France en cette fin de XX' siècle ? Au nom
de quels principes le respect des langues et cultures amérindiennes
au Mexique ou en Arizona, berbères au Maghreb, suédoises
ou lapones en Finlande, françaises ou inuit au Canada, tibétaines
ou ouïgour en Chine serait, par-delà l'extrême diversité
des situations évoquées, des causes légitimes et, par contre,
la simple reconnaissance publique de l'existence d'une pluralité
linguistique inséparable de l'identité réelle de la France
un acte d'antirépublicanisme, en tous les cas empêché par
la Constitution ?
Le
refus de la France de signer la charte européenne sur les
langues régionales ou minoritaires élaborée au sein du Conseil
de l'Europe et adoptée par celui-ci pour être soumise à
la signature des Etats en 1992 symbolise parfaitement cette
situation. Selon le Conseil d'Etat, l'article 2 de la Constitution
(lequel indique que la langue de la République est le français)
s'oppose même à cette signature. Cette interprétation est
certes contestée, en particulier par Alain Lamassoure, l'un
des deux auteurs de l'amendement ayant introduit le dit
article dans le projet de réforme constitutionnelle ayant
conduit à son adoption il y a quelques années, mais elle
est celle qui s'impose aujourd'hui dans les faits.
Le
président de la République s'est dit favorable à la signature
de cette convention, de nombreux responsables politiques
de la majorité parlementaire y sont également favorables,
en particulier Nicole Péry, chargée récemment par le premier
ministre de rédiger un rapport sur les langues régionales.
Pourquoi,
à la suite dé sa prochaine réforme, la Constitution ne préciserait-elle
pas simplement que la République reconnaît officiellement
ces langues à côté du français dans les régions où elles
sont historiquement présentes, comme c'est le cas partout
aujourd'hui en Europe dans les Etats plurilingues, à l'exception
de la France, de la Grèce et de la Turquie ?
Un
tel geste signalerait une réelle rupture par rapport à une
tradition d'ostracisme, symbole anachronique d'une politique
d'aménagement linguistique intolérante et souvent agressive
à l'égard des langues régionales. Il permettrait aussi de
lever les derniers obstacles pour la signature de la charte
européenne.
Bernard
Oyharçabal
Linguiste
et directeur de recherche au CNRS |